L’Ile de Groix offre un second exemple remarquable de conservation de la mémoire des épisodes tectoniques, en quelque sorte gravée dans les roches métamorphiques.
Ce paragraphe ne prétend pas retracer l’ensemble des données de zonation et de phasage du site, beaucoup trop complexe. Nous nous contenterons de présenter deux types de roches choisies dans la zone de métamorphisme d’intensité la plus forte : c’est la zone I, localisée entre le port de Locmaria et la pointe des Chats ; voir la carte géologique représentée sur la planche 24.
Planche 24: secteur de l’île où sont localisées les roches métamorphiques formées dans les conditions de pression maximale. Elle est désignée par le terme zone I dans la notice de la carte.
Carte géologique au 1:25000, du BRGM. δG désigne les glaucophanites à amphibole bleue et épidote. Ψ désigne les éclogites. Les cercles rouges désignent les lieux d’origine des échantillons examinés en lame mince.Dans cette zone, le pic de métamorphisme se place à la limite des éclogites et des amphibolites dans le diagramme P-T. Voir planche 25 Du point de vue de la composition, les roches sont « basiques », issues de roches magmatiques ou de tufs volcaniques, remaniées et profondément transformées par les hautes pressions liées à une subduction, puis rétromorphosées.
Planche 25: trajectoire des roches de la zone I dans le plan P-T. La phase prograde culmine à une pression voisine de 10kbar, ce qui fait entrer dans le faciès des éclogites. Le retour se produit dans le faciès des amphibolites, avec un pic de métamorphisme voisin de 700°c.
SV: schistes verts, Gl-Ep: Glaucophanites à épidote, Am: amphibolites,
Ecl: éclogites, Gra: granulites. D’après notice de la carte BRGM.1er type : glaucophanites de l’ouest de la pointe des Chats (voir carte)La planche 26 montre une coupe polie faisant bien apparaître la schistosité intense due à la première phase de plissement et de cisaillement. L’amphibole sodique bleue, ou glaucophane, domine, et constitue des lits épais millimétriques à centimétriques, alternant avec des lits également épais d’épidote jaune-vert.
Les gros grenats sont fréquents, et leur taille peut atteindre le centimètre. Ils sont parfois disposés en lits denses avec un faciès rappelant celui d’une éclogite. Le mica blanc est ubiquiste et se présente en feuillets facilitant le clivage de la roche.
L’examen de lames minces permet d’affiner la paragenèse. La planche 27 montre une lame taillée dans une plage présentant un grenat circulaire de 5mm de diamètre. Le grenat donne l’échelle. En lumière naturelle, on observe le pléochroïsme caractéristique du glaucophane, qui va du bleu outremer/violacé au bleu lavande. La plupart des cristaux de glaucophane sont zonés à leurs extrémités avec une mince auréole d’amphibole sombre ou vert foncé. L’amphibole verte coexiste en cristaux séparés, peu nombreux. Le mica blanc est fréquent : il s’agit de la phengite, dont la composition est proche de la muscovite. Bien que incolore et limpide, la phengite s’identifie facilement par ses légers reflets moirés comme de la nacre.
Planche 26: coupe polie d’une glaucophanite à épidote de la pointe des Chats ( Ile de Groix ). Planche 27: lame mince en lumière naturelle d’une glaucophanite à épidote de la pointe des Chats. L’échelle est donnée par le grenat de 5mm de diamètre. La paragenèse comprend: glaucophane + clinozoïzite + phengite + quartz + amphibole verte.Un dessin d’interprétation est présenté sur la planche 28, pour montrer la disposition des cristaux d’épidote, venant s’enrouler autour d’un côté du grenat. Il s’agit de clinozoïsite en prismes allongés bien formés et marqués d’un clivage parallèle au grand axe des cristaux.
La clinozoïsite se reconnaît à son relief fort, du à sa forte réfringence, et au fait qu’elle est incolore. Toutefois certains individus sont jaunâtres et pourraient être de la pistachite, c'est-à-dire une zoïsite où une partie de l’aluminium serait substitué par du fer. On observera de nombreuses plages en forme de prisme allongé, constellées de petits cristaux vert foncé, en particulier dans l’angle en bas à gauche : il peut s’agir des vestiges des clinopyroxènes, qui normalement devraient être présents, compte tenu de la position du pic de métamorphisme dans le plan P-T, comme le fait apparaître la planche 25. On rappelle que la phase pyroxène des éclogites est constituée, pour une éclogite non rétromorphosée, d’omphacite, c’est-à-dire d’une solution solide de diopside, de jadéite et d’aégyrine.
Planche 28: dessin d’interprétation de la lame mince en lumière naturelle de la planche 27.
En bleu lavande, les grandes aiguilles de glaucophane ressortent sur les plages limpides de phengite. Elles sont accompagnées de rares cristaux verts d’« amphibole bleu-vert ». Les prismes incolores de la clinozoïsite sont bordés de jaune ( pistaciste?) et à clivage parallèle unique. Le quartz abrité, limpide, se reconnaît à ses polygones à joints à 120°. La planche 29 est un schéma simplifié du dessin interprétatif, montrant les microstructures de schistosité et de linéation qui orientent les amphiboles, mais aussi traversent en interne le grenat. Elles sont utiles pour déterminer le sens du couple de cisaillement. On notera que le quartz apparaît en zone abritée par le grenat, sous la forme d’une mosaïque de polygones à joints à 120°.
Planche 29Pour traduire la paragenèse et la texture de cette glaucophanite, typique de l’Ile de Groix,
en termes de trajet P-T-t, nous nous reportons à la notice de la carte BRGM citée plus haut.
Elle nous a permis de représenter, dans le plan P-T des faciès, les trajectoires pour les trois zones de l’Ile de Groix, classées par ordre décroissant de degré du métamorphisme:
planche 30.
On s’attendrait donc à trouver l’omphacite dans les roches de la zone I, puisque celle-ci est la phase pyroxène des hautes pressions, comme on l’a vu dans le cas des éclogites du Bas-Limousin. On sait que l’omphacite est déstabilisée lors de la décompression. Dans le cas présent de l’échantillon examiné, le début de la phase rétrograde a été suffisamment lente pour transformer le pyroxène par un phénomène analogue à l’ouralisation. C’est donc la rétromorphose vers le faciès amphibolite qui produit le déchiquetage des prismes en une multitude de petites aiguilles d’amphibole vert foncé. |
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Planche 30: dans la zoneI, certaines métabasites sont passées du faciès glaucophanites à épidote au faciès éclogites, et l’ont retenu ( voir le paragraphe « 2ème type »), d’autres l’ont totalement ou partiellement rétromorphosé. |
2ème type : éclogites de la baie entre Locmaria et la pointe des Chats.Voir carte géologique au 1/25000, du BRGMCe sont des roches plus massives que leurs voisines, les glaucophanites, sans foliation apparente. Les grenats plurimillimètriques se détachent nombreux sur un fond gris bleu uniforme. En lame mince examinée en lumière naturelle, planches 31 et 32, les contours géomètriques des grenats se découpent nettement, sans couronne symplectique, mais souvent frangés d’un liseré de réaction avec l’omphazite, donnant une amphibole bleu très foncé.La matrice de l’éclogite est constituée d’une trame homogène serrée, linéairement orientée, dans laquelle on distingue bien les petits cristaux bleu-vert clair d’amphibole, qui expriment le passage à des conditions de décompression et de métamorphisme rétrograde en présence d’eau. On distingue moins bien ce qui peut rester du clinopyroxène à jadéite, ainsi que l’épidote qui apportent la composante jaune clair de la trame ; cette dernière peut aussi être apportée par la chloritisation partielle de l’omphacite. Certains grenats présentent une zone abritée : phengite ? On observera un gros cristal bien formé de sphène sur la planche 32.
Planche 31: éclogite de la baie de Locmaria. |