X 1. LES MICAS NOIRS

Les kersantites sont des roches à mica noir et plagioclase . Le mica représente à peu près le tiers du volume de la roche du faciès de Kersanton et diminue progressivement avec l'évolution des faciès.

La composition du mica varie dans une large mesure en fonction de la différenciation de la roche.

Deux des coupes de micas (fig. 1 a et b) ont été effectuées dans les faciès extrêmes. La première vient de l'échantillon Ks1 (le moins différencié) et la seconde coupe, de Ks3' qui est la faciès pegmatitique dans la roche la plus évoluée.


Figure 1.
Coupes de micas à la microsonde électronique,
biotite 11 de Ks1 (Kersanton) et biotite de Ks3



1.1. DESCRIPTION

Les micas observés peuvent être répartis en 2 groupes, l'un que l'on trouve plus particulièrement à Kersanton (mica dont la bordure verte peut être récurrente, (voir 'Description Pétrographique'). Le second groupe, commun aux autres kersantites étudiées, avec des micas à bordure sombre.

En lumière naturelle, les micas de Ks1 ont un centre brun et une bordure verte. Ceux de Rosmellec, ont un centre brun-rouge et des bords bruns-noirs, avec un pléochroisme intense. Cette variation est essentiellement due à une variation chimique (Bachinski & Simpson,1984).

1.2. NATURE DU MICA

Le rapport Mg/Fe (RMg) dans les micas de Ks1 varie entre le centre et la périphérie, indiquant que cette phase n'a pas cristallisé à l'équilibre. Au centre c'est un phlogopite avec le rapport Mg/Mg+Fe=.80 et au bord ce même rapport est de .58, donc inférieur à .66, limite entre biotite et phlogopite. On passe du centre vers la bordure d'un phlogopite à une biotite Mg.

Dans le cas des kersantites plus différenciées, type Ks3', ce rapport passe du centre de .75 à .35 sur les bords, d'un phlogopite à une biotite ferreuse.

1.3. COMPOSITION CHIMIQUE

1.3.1. K

Entre ces deux micas et donc entre les deux faciès extrêmes de kersantites, l'analyse à la microsonde éléctronique montre que c'est le seul élément significatif qui ne varie pas. Le potassium reste constant quelles que soient les variations de la composition chimique de la roche qui contient le mica. En effet, en comparant les spectres des deux micas, les courbes du potassium se superposent parfaitement avec une teneur en K20 de 6.9 % en poids et 1.7 cations/22 0.

1.3.2. Le Fe et le Mg

Sur la figure 1, la variation de ces 2 éléments est opposée, en cloche. La centre, plus magnésien, passe à des bordures plus Ferreuses au cours de la cristallisation du 
mica. L'aspect des courbes, similaire sur les deux coupes diffère par les maximas et les minimas en Mg et en Fe au centre et sur les bords des micas. La différence Mg-Fe (en cations) caractérise la basicité du mica et son appartenance à l'un des faciès de kersantite. Dans Bio-11 Mg-Fe=1.5 sur les bords, pour Bio Ks3 cette différence est négative -1.6 cations.

Au cours de la différenciation des kersantites, la teneur en MgO du mica diminue; les phases minérales Ferromagnésiennes qui cristallisant à un moment donné sont le reflet de cette variation.

Ainsi, les micas sont plus magnésiens dans les faciès peu différenciés (Ks1) et plus ferreux dans les faciès évolués (Ks3').

Cet effet est illustré par le rapport Mg/Mg+Fe des micas. Dans la faciès de Kersanton les valeurs extrêmes varient de .80 à.58, alors que dans celui de Rosmellec l'intervalle est de .75 à..35.

1.3.3. Na

Le Na dans le faciès de Rosmellec est constant. Il ne montre pas de variations du centre vers les bordures du mica. Par contre à Kersanton une légère augmentation est visible au centre.

1.3.4. Ba

Le barium est en faible quantité et toujours, quel que soit le faciès, inférieure à 1% en poids.

1.3.5. Mn et Ca :

Ces deux éléments sont en traces dans les micas trioctaédriques et les mesures effectuées à la microsonde éléctronique Ms 146 ne sont en aucune façon significatives. Les analyses effectuées sur la CAMEBAX montre effectivement le Mn en traces 10 à 0,20 % en poids, le Ca n'ayant pas été dosé.

1.3.6. Ti

Le Ti augmente avec la différenciation de la roche dans laquelle il cristallise, q5 cations dans Ks1 jusqu'à .67 dans Ks3'.

Les variations du Ti dans les micas des échantillons de Kersanton ne semblent pas correspondre avec ce qui a été décrit dans d'autres lamprophyres (Schulze, Smith et Némec 1985), et dans les autres kersantites étudiées. Le Ti décroît avec l'augmentation du Fe et avec la diminution du Mg (uniquement dans la kersantite de Kersanton.

Tout au long de la cristallisation du mica de Ks3' (faciès pegmatitique), le Ti ne montre pas de variations, sa teneur est constante quelles que soient les modifications du site Y en Mg et en Fe. Sa seule influence nette est l'apport d'un excès de charge dans ce site et la modification que cela amène dans le site 2 sur l'incorporation de la Si et de l'Al.

Cette influence de la forte charge du Ti sur la nombre de cations est donnée dans le diagramme de la figure 2 (Somme des cations en fonction du Ti).


Figure 2.
Diagramme Somme des cations-Ti
de tous les micas des kersantites

Ce comportement du nombre total de cations correspond à ce que l'on observe dans la cas général chez les micas titaniféres sauf que pour Ks1 la zone déplétée en cations est le centre, plus riche en Ti et non les bordures, comme il est décrit habituellement.

Les deux diagrammes binaires synthétiques Fe-Mg et Fe+Al6-Mg+Ti (Fig. 3-4), montrent l'influence du Ti dans l'occupation du site octaédrique des micas. Ceci est surtout visible pour les deux échantillons de Kersanton, Ks1 et Ks4 où l'on voit des courbes de pente très différentes sur le premier diagramme Fe-Mg et sur le second où elles sont parfaitement confondues.


Figure 3. Diagramme Fe-Mg dans les micas des kersantites
Figure 4. Diagramme Fe+ (OST-8)-Mg+Ti.
OST : Occupation du site tétraédrique.


1.3.7. La Si

La silice comme le K ou l'Al dans Ks3' est constant dans un mica donné mais varie en fonction de la roche porteuse. On observe une diminution nette de cette teneur en allant des termes les mains riches en Si02 aux termes qui le sont le plus. Ceci est à mettre en relation avec les teneurs en Ti qui elles augmentent. Ces deux éléments ayant la même charge (4+), le Ti augmentant, il faut qu'il y ait une diminution de Si ou d'Al, cations à fortes charges pour contrebalancer l'effet du Ti sur la charge totale de l'unité micacée.

1.3.8. L'Al

Comme je l'ai déjà précisé ci-dessus l'Al varie entre les deux échantillons extrêmes, puisqu'il passe de 2.8 à 2.6 cations de Ks1 à Ks3'. Alors qu'il est constant dans les micas des autres faciès de kersantite, il varie de façon régulière dans le mica de Kersanton (Ksl1Bio 11).

Cette variation de l'aluminium est à mettre en relation avec les teneurs en Ti contenues dans les micas, en effet dans la bio Ks3 (fig.1-b), l'Al est constant et faible, le Ti est élevé et lui aussi constant. Sur la coupe a, de la même figure 1, l'Al présente un spectre concave, en opposition à celui du Ti, convexe. Ces variations sont la conséquence d'un rééquilibrage électrostatique dû à la quantité importante de Ti4+.

Par ailleurs, on remarque la stabilisation des teneurs en Al sur les bordures du mica. et aspect correspond au remplacement d'Al3+ par un autre cation trivalent; Fe3+.

1.3.9. Le Cr

Ce élément apparaît en faible quantité dans les micas de Ks1, la faciès le moins différencié des kersantites étudiées, on le trouve quelquefois en trace dans le faciès de Rosmellec. Dans les micas de Ks1-Ks4, on trouve le Cr dans deux zones, au centre du mica, mais aussi dans les domaines bruns de bordure, où il il y a des récurrences brun-vert (fig. 5, bio 14) Les quantités de Cr sont alors plus importantes dans ces bordures récurrentes qu'au centre du mica.

1.4 Variation Ti-Mg-Fe

Sur le ternaire Ti-Mg-Fe (fig. 6) toutes les analyses de micas ont été reportées. Trois lignées se dessinant.


Figure 6.
Diagramme ternaire Mg-Ti-Fe dans les micas des différents faciès de kersantite,
avec en particulier le comportement de la kersantite de Kersanton (Ks1-Ks4)


La première, les micas de Kersanton, montre des teneurs variables en Ti, augmentant avec le rapport Mg/Fe. C'est lorsque cette valeur dépasse .75 que l'on observe une augmentation brusque de la teneur en Ti. Puis cette teneur en Ti devient constante avec IiS cations pour des valeurs Mg/Fe supérieures à.75.

La dernière, la plus riche en Ti est la faciès de Rosmellec (Ks3'), où le mica montre une très légère diminution des teneurs en allant des termes les plus magnésiens aux plus Ferreux.

Ces trois séries caractérisent trois carrières différentes, la première ou lignée 1 (L1) a été prélevée à Kersanton, où l'on trouve les faciès grenus les moins différenciés. La lignée (L2) àteneur en Ti constante vient de Troéoc, faciès le plus évolué àpyroxène. La troisième lignée, celle de Rosmellec, bien que moins évoluée que Troéoc montre des teneurs en Ti plus élevées (L3).

1.6. LE PHLOGOPITE, TRACEUR DE L'ALTERATION HYDROTHERMALE

Sur certains micas du Faciès de Kersanton, on peut voir une variation de coloration des bordures, avec passage du brun au vert, cette séquence est parfois récurrente.

Lors de l'altération hydrothermale des olivines presentes dans les kersantites, deux produits principaux sont formés, la talc et la chlorite. Le premier essentiellement intra-olivine et la second en phase de fin de cristallisation de la roche.

Une partie des constituants des olivines ayant été échangée avec le milieu extérieur, ils se sont trouvés en contact avec les ferra-magnésiens déjà cristallisés. Tel était la cas des phlogopites de Ks1 (fig. 5). A leur contact, le mica s'est remis à croître, avec une inversion de l'évolution chimique. Du rapport Mg/Mg+Fe de .58, qui correspond aux bordures des micas, on passe à un rapport de .69, dans les zones brunes, encore plus élevé qu'au centre de ce même mica.



Figure 5.
Spectres d'éléments dans deux biotites
a : aspect de la biotite 14-Ks1, montrant un système de bordure complexe récurrente.
b : coupe du mica bio12-Ks1;
c : coupe de a selon l'axe a-b.


Le Mg et le Fe ne sont pas les seuls éléments à varier, on peut voir sur la figure 5.b que la Si et l'Al normalement constants montrent brusquement de grandes variations. L'étude du binaire MgO-SiO2 (fig. 7) montre que dans les zones brunes il y a un mélange entre la biotite et du Talc, ce qui explique les variations du Fe, du Mg de la Si, de l'Al et du K (Fig. 5).


Figure 7.
Binaire MgO-SiO2 de la coupe a-b 
de la biotite 14-Ks1 à bordure complexe.
« points d'analyses de la biotite 14 de Ks1
lll ligne de mélange entre la biotite et le talc



Les récurrences observées correspondent à la cristallisation de talc due à l'altération hydrothermale des olivines. L'apparition de Cr203 dans ces zones est aussi un indice de recristallisation de minéraux venant de l'altération des spinelles chromifères, qui se trouvent seulement à l'intérieur des olivines.

1.7. CHRONOLOGIE DANS L'ALTERATION DES OLIVINES

Les phlogopites ont enregistré la transformation des olivines, et sont considérés comme des traceurs de l'altération hydrothermale de ces dernières.

Dans la kersantite de Rosmellec et Troéoc, ces récurrences n'existent pas alors que les olivines sont tout de même altérées.

Pour expliquer la disparition des indices d'altération, il faut savoir qu'ils n'existent, même à Kersanton, que dans certaines conditions très particulières, qui vont permettre de caler une chronologie précise de ces phénomènes.

Ces récurrences chimiques sur les micas de Kersanton, sont localisés. Elles ne se font pas sur tout la pourtour du minéral, mais sont situées dans des zones en contact avec du carbonate ou de la chlorite. C'est à dire que toutes les parties du mica blindées par le plagioclase, l'amphibole, et même les fantômes d'olivines, ne montrent pas de telles récurrences.

On peut ainsi montrer que cette croissance de biotite avec du talc, témoin de l'altération des olivines, s'est effectuée postérieurement à la cristallisation du plagioclase.

La disparition de ces récurrences dans les autres faciès indique seulement que la cristallisation de la roche était plus avancée et qu'il ne pouvait plus y avoir de recristallisation du mélange mica-talc.

1.8.Les bordures vertes simples dans le faciès de Kersanton et Rosmellec

Ces bordures, présentes essentiellement à Kersanton, le sont aussi à Rosmellec. Elles sont le reflet d'une oxydation de l'environnement. En effet dans les biotites où la bordure n'est pas complexe (Fig. 1.a), l'Al qui augmentait régulièrement en opposition à la diminution du Ti, se met à être constant.

Ceci correspond à l'apparition d'un autre cation trivalent qui compense la charge de l'Al. On en déduit la transformation du Fe2+ en Fe3+ sur les bords du mica. Le calcul du Fe3+ ne peut être effectué car la site octaédrique des micas étudiés n'est pas saturé.

La couleur verte de cette bordure n'est pas expliquée, mais elle ne correspond pas à une chloritisation.

La présence de sulfures dans la roche n'est pas en contradiction avec cette hypothèse. En effet, les sulfures cristallisent de manière relativement précoce, lorsque les conditions ne sont pas encore oxydantes. 

1.9. LES VARIATIONS DU Ti DANS LE FACIES DE KERSANTON

On a vu dans la description des micas que les variations du Ti dans les micas des kersantites étudiées étaient différentes entre le groupe 1 et le groupe 2. Dans la premier groupe, avec la faciès de Kersanton, sa diminution est concomitante de celle du Mg et opposée à celle du Fe. Dans la second, les faciès de Rosmellec et Troéoc, il est constant tout au long de la cristallisation du mica.

On voit donc qu'il y a un changement de comportement du Ti entre ces deux faciès.

De plus les différentes études effectuées sur les micas des lamprophyres et des kersantites en particulier (Némec, 1972: Bachinski et al.,1984: Macdonald et al., 1985: Schulze et al. 1965), mettent en évidence qu'aucun des deux mode de comportement indiqués ci-dessus ne sont classiques. L'augmentation du titane devrait se faire dans les kersantites avec celle du fer, tandis que le Mg diminuerait. Ce comportement théorique n'est valable que pour les micas noirs que l'on trouve dans les kersantites. En effet, lorsque la rapport Mg/Mg+Fe augmente, i.e. vers le pôle phlogopite, plus le mica est magnésien, plus il est riche en Ti.

Seuls Schulze et al.(1985), donnent un exemple inverse; "cette lignée est violée localement à l'echelle millimétrique, probablement à cause, d'une part, d'une compétition entre des minéraux adjacents cristallisant rapidement dans des volumes isolés de liquide et d'autre part, probablement en partie à cause d'un déséquilibre inhérent à la croissance rapide."

-trois cas sont reportés ci-dessous pour tenter de donner une explication à cette situation.

- Mélanges

- Chlorite
- Vermiculite

- Augmentation de la pression d'eau

1.9.1. Mélange avec de la chlorite

La coloration verte des bordures pourrait être un indice
de présence de chlorite entre les feuillets du mica. L'observation de ce minéral avait été faite Par C. Barrois (1886, 1902), A. Delesse (1650, et al-1876) et Cordier (1827) qui voyaient en continuité le passage du mica à la chlorite.


La Figure 9-a et 9-b présente les analyses de micas faites à la microsonde CAMECA MS146. Sur les deux diagrammes de la fig. 9 (a: MgO/FeOt, b: MgO/Al203), on peut observer qu'entre le mica et la chlorite, il n'existe pas de solution solide. Une seule analyse de mica, se trouve dans la nuage des chlorites, indiquant seulement une erreur analytique, se faisant sur une chlorite près du bord d'un mica et non sur ce dernier.


Figure 9.
Diagrammes de mélange biotite-chlorite.
Analyses des micas (ln) et chlorites (­) des kersantites.
a: MgO-FeOt, b: MgO-Al2O3

 


La séparation entre les deux groupes d'analyses, sans point intermédiaire, indique que le mica des kersantites est parfaitement Frais et non altéré en chlorite.
L'aspect en lame mince, lorsque la chlorite est en contact avec un cristal de mica, ce qui n'est pas le cas le plus courant, montre une limite nette entre ces deux phasesminérales.
Les observations de Barrois ou Delesse ont pu se faire sur des échantillons ayant subi une altération postérieure météoritique.

1.9.2. MELANGE AVEC LA VERMICULITE


Ce phénomène, déjà observé par ailleurs sur des micas qui intégraient progressivement dans leurs feuillets de la vermiculite avec comme terme de mélange intermédiaire l'hydrobiotite, a été testé (Gotzinger,1986).


La Figure 10 reprise de ces travaux avec report des analyses des micas étudiés, montre deux choses; premièrement, (fig. 10-a) que les micas du Faciès de Kersanton sont effectivement des biotites, qui n'intègrent pas de vermiculite. Deuxièmement que l'évolution du Ti (Fig. 10-b) est inverse de celle correspondant au mélange avec la vermiculite.


Figure 10.
Diagramme de mélange vermiculite-biotite 
avec solution solide d'hydrobiotite (Gotzingze, 1986).
l : analyses de la solution solide
­
: analyses des micas dans les kersantites étudiées



On démontre ainsi que les variations en éléments observés sur les bordures des micas ne sont pas dues à un mélange biotite-vermiculite.

1.9.2. AUGMENTATION DE LA PRESSION D'EAU

Une étude effectuée sur des micas synthétiques, et en Particulier sur la pôle phlogopite par Robert (1961), a montré le rois essentiel de la pression d'eau dans la solubilité du Ti.

Des expériences sous pression d'eau croissante ont mis en évidence que cette solubilité diminuait avec l'augmentation de la pression en fluides.

Cet aspect pourrait parfaitement correspondre au comportement du Ti dans les micas de Kersanton, puisque des fluides sont présents, et la pression est apportée par le contexte tectonique.

La fait que dans les autres faciès de Rosmellec et Troéoc, le Ti reste constant pourrait indiquer un juste équilibre entre la diminution de la solubilité du Ti due aux fluides, et son augmentation théorique.