(Mai 2010)
Par Alain Guillon, responsable de la Commission de Volcanisme de la SAGA
Le volcan islandais Eyjafjöll est un strato-volcan situé au sud de l'Islande, à seulement 160 km au sud-est de la capitale Reykjavik. Il est entré en éruption dans la nuit de samedi 20 mars 2010. La particularité de l'Eyjafjöll, qui culmine à 1666 mètres d’altitude, est la présence d'un glacier à son sommet. Le volcan est en effet recouvert par une large calotte glaciaire, nommée Eyjafjallajökull. La dernière éruption de l'Eyjafjöll remonte à 1821; elle avait alors duré plus d'un an. L’Islande est une île singulière. Elle est presque en totalité composée de roches volcaniques et comporte de nombreux volcans actifs (environ 130) dont un grand nombre sont couverts de glaciers. C’est la seule partie émergée de la dorsale médio-atlantique, au niveau de laquelle se forment les plaques américaine et eurasiatique grâce à d’importantes remontées de magma. L’Islande est également située à l’aplomb d’un point chaud dont le centre se trouve au niveau du plus imposant des glaciers islandais, le Vatnajökull, qui occupe une grande partie de l’est de l’île.
L’intense activité volcanique de l’Islande, qui connaît en moyenne une éruption tous les cinq ans, résulte donc de la combinaison de ces deux contextes géodynamiques. Si le « magmatisme » de certains volcans est exclusivement lié à l’un ou à l’autre de ces contextes, la majorité d’entre eux ont un « magmatisme » d'origine mixte. C’est le cas d’Eyjafjöll et de ses voisins, dont l’activité volcanique a débuté il y a 2 à 3 millions d’années. Ils se situent au sud de l’Islande, dans une zone où se mêlent magmatisme de point chaud et magmatisme de dorsale, et émettent des magmas de composition dite « transitionnelle ». Sa forme, fortement allongée selon un axe est-ouest, pourrait être liée à sa proximité immédiate avec la South Iceland Sismic Zone, zone de fracturation majeure en Islande qui connecte les deux rifts principaux (rift ouest et rift est) qui découpent l'île. Le volcan se trouve en effet pile à l' endroit où le rift est islandais croise la South Iceland Sismic Zone. Les premiers signes de l’éruption sont apparus en avril 2009, lorsque des séismes ont été enregistrés à 20-25 km de profondeur sous le volcan Eyjafjöll (sous le glacier Eyjafjallajökull). Cette sismicité a été suivie d’une période de calme jusqu’à fin décembre 2009, lorsque le gonflement du volcan a commencé. Ces déformations ont été mesurées par plusieurs station GPS en continu, jusqu’au 20 mars 2010, date à laquelle une éruption excentrée s’est déclarée sur le Fimmvörõuháls (voir coupe ci-dessus). Un basalte alcalin primitif a été émis dans ce secteur entre deux volcans centraux, Eyjafjöll et le Katla.
Ce type d’éruption « sous-glaciaire » est caractérisé par des phases d’explosions violentes, caractéristiques d’un dynamisme phréatomagmatique (interaction violente entre la glace, ou l’eau, et le magma), et responsables de l’émission du panache volcanique chargé en cendres qui s’est propagé dans le ciel en provoquant l’arrêt du trafic aérien. Cette énergie contribue de manière importante à fragmenter la roche au niveau du point d’émission produisant des particules très fines qui sont expulsées jusqu’à plus de 10 km d’altitude. La fonte d’une importante masse de glace, avec accumulation de l'eau sous le glacier, a été violemment libérée à la surface et a provoqué des inondations et des coulées de boues, phénomène fréquent lors des éruptions sous-glaciaires en Islande (Vatnajökull-Gjálp, en 1996, par exemple). L’Eyjafjöll a connu deux phases éruptives. La première a débuté le 20 mars 2010 et s’est terminée le 13 avril. On l’a qualifiée de « fissurale » car le magma s’épanchait depuis une fissure latérale située sur le flanc est du volcan, entre deux glaciers. Elle a produit des coulées de lave fluide aux conséquences mineures pour l’île et nulles pour l’Europe. .
Le caractère explosif de cette seconde phase de l’éruption peut être expliqué par deux facteurs complémentaires, le plus important étant l’interaction entre le magma et la glace. La rencontre de la lave, à 1 200°C, et de la glace à 0 °C, produit un véritable choc thermique : la glace est instantanément vaporisée en gaz, phénomène qui s’accompagne d’une libération d’énergie qui fragmente le mélange en cendres légères et volatiles. Dans le cas présent, on estime que 20 % du volume total des produits volcaniques se sont ainsi retrouvés projetés dans l’atmosphère durant les premiers jours de l’éruption.
Le second facteur a trait à la composition chimique et gazeuse du magma. Plus celui-ci est riche en silice, plus il est visqueux et cohésif, et plus son potentiel explosif est important. Lors de la première phase, la teneur en silice du magma était de 47 %, contre 58 % pour le magma secondairement libéré. Cet enrichissement en silice, qui résulte certainement d’un temps de résidence plus long au sein d’un réservoir magmatique, confère à ce magma une charge explosive plus forte, également renforcée par une teneur en gaz élevée. Les hypothèses sur l'alimentation des éruptions Durant la première phase (30 mars-12 avril 2010), un magma de composition basaltique, dit de type primitif, a été émis. Cette composition renforce l'hypothèse d'une arrivée de magma profond suggérée par les séismes profonds de 2009. Les verres interstitiels de ce basalte primitif ont la même composition en éléments majeurs que les basaltes évolués du volcan Katla. Les premiers téphras (cendres issues de magma pulvérisé par l’éruption) de la deuxième phase (14 avril) ont une composition intermédiaire entre celles de la dacite (lave moins riche en magnésium et calcium que le basalte) de l’éruption de 1821 et les basaltes du Katla (voir diagramme ci-dessous) et, dès le 15 avril, on note que cette composition se déplace vers le pôle des basaltes du Katla (info. Institute of Earth Sciences d’Islande). On peut donc proposer un scénario pour expliquer la composition des magmas émis.
Le magma primitif émis en début d'éruption a, d'une part, évolué par cristallisation (~50 %) et, d'autre part, en migrant sous le volcan Eyjafjöll, il a remobilisé des intrusions dacitiques stagnant depuis l'éruption de 1821. Le 14 avril, les deux magmas étaient mélangés en proposition égale, puis le magma primitif est devenu prépondérant. La forte explosivité actuelle est due à la fois à la contribution de la composante dacitique (plus forte teneur en gaz, donc plus forte explosivité) et au contact thermique entre le magma et le glacier. L'affaiblissement de la composante dacitique et la disparition du glacier au-dessus de l'éruption sont les deux paramètres qui pourront conduire à une disparition ou diminution du panache troposphérique. On peut estimer que, si le magma de l'éruption atteint une concentration en MgO d'environ 4 %, la production d'un panache important ne dépendra que de l'évolution de l'interaction entre le magma et le glacier. Le volcan voisin, le Katla, n’émet aucun signal alarmant : les sismomètres ne détectent aucune activité sismique, et les GPS ne mesurent pas de gonflement de la croûte terrestre autour. Un tel soulèvement indiquerait que le réservoir magmatique du Katla serait en train de se remplir. Remplissage qui pourrait se faire depuis les conduits d’Eyjafjöll si ces deux volcans étaient liés. Mais le lien entre ces deux volcans n’est qu’hypothétique : il a été supposé car les deux dernières éruptions d’Eyjafjöll, en 1612 et en 1821, ont été suivies par l’entrée en éruption du Katla.
Références : Université de Clermont-Ferrand, Institut de physique du globe de Paris, Guide des volcans d’Europe et des Canaries (M. Krafft & F.-D. de Larouzière, Delachaux et Niestlé éd.), La Recherche, Associated Press, AFP. |