Sortie du 26 juin 2005

LE VELAY ORIENTAL - VOLCANISME DES BOUTIERES

(par Jacques Cabrol)

 

            Notre association, bien que familiarisée depuis longtemps avec les sites volcaniques de cette région au cours de promenades antérieures faites sous la conduite de Messieurs Mergoil et Durand, a envisagé de les faire connaître à ses nouveaux adhérents et de les remémorer aux anciens.

Nous y avons consacré une journée d'été superbe et particulièrement cuisante sous une lumière qui mettait les différents reliefs en valeur.

 

            Le volcanisme des Boutières.

 

            Le col de la Croix des Boutières, situé à 1508 mètres d'altitude sur la ligne de partage des eaux des bassins de la Loire et du Rhône, frappe par la dissymétrie de ses deux versants. A l'Ouest, un plateau basaltique, couvert de pâturages, duquel émergent quelques dômes phonolitiques, à l'Est, un ensemble fortement tectonisé où l'érosion a pu se donner libre cours et que les hommes ont pu difficilement mettre en valeur.

Ici les effets de compression dus aux poussées tangentielles alpines puis de distension ont compartimenté le socle en éléments de quelques kilomètres carrés au maximum, dénivelés les uns par rapport aux autres, se matérialisant par des failles visibles ou non. Les affleurements granitiques à l'Ouest  ( 1450 m à la Roche Pointue , 1400 m sous les rochers de Blot ) et à l'Est ( 1200 m à Raffet, 900 m sous Saint Clément ) montrent l'importance du décalage de ces blocs les uns par rapport aux autres.

C'est à travers ce réseau de multiples fractures que le volcanisme miocène, qui a par ailleurs donné des manifestations plus tardives, a émis des laves de nature basaltique ou phonolitique, se traduisant dans la topographie par des sucs, des dômes ou des éléments de plateaux en inversion de relief attaqués par une érosion intense.

 

Le volcan polyphasé des Boutières.

 

Le Mézenc

 

         tuf      

   surtséyen

 
En direction du Sud à partir du col, le GR7 conduit au dessus d'un amphithéâtre de l'ordre de 1500 à 2000 mètres de diamètre, d'où l'on peut observer l'ensemble de l'appareil que l'on domine. La corniche qui en constitue l'extérieur est un tuf surtséyen à ciment palagonitique de nature pyroclastique rappelant les brèches du Puy. Il correspond à l'émission d'une phase phréatomagmatique riche en eau. Cette présence est-elle due à une couverture glacio-neigeuse, comme dans les appareils islandais, ou à celle de surfaces lagunaires comme dans le Bassin du Puy ? Si la seconde hypothèse peut paraître plus surprenante, elle n'est pas à exclure, car il faut bien imaginer que ce volcanisme, sensiblement plus ancien que celui du Velay occidental, a été le siège d'une érosion bien plus intense qui a bouleversé la topographie de l'époque.

Zone de Texte: Récolte de chabasite (ou chabazite)             Plus au SW et sur un anneau plus intérieur, affleurent des projections du type maar, riches en éléments du socle, que l'on peut interpréter comme une phase intermédiaire avec appauvrissement de l'alimentation en eau et abaissement de la profondeur du cratère. Enfin, on peut observer l'intrusion de larges  filons  de  basalte  dans les tufs, et à la base de

 

l'amphithéâtre, d'une part des scories soudées livrant dans les alvéoles des zéolites (la chabazite), et d'autre part des horizons de basalte sous forme de blocs décamétriques éboulés, ou des lambeaux en place largement entamés par l'érosion qui a ruiné l'emplacement du cratère. Tous ces témoins correspondent à une phase strombolienne qui termine le cycle. Toutes choses égales, cet enchaînement polyphasé correspond à ce qui été observé près du Puy au volcan de la Denise. Mais ici les basaltes sont datés à 8,3 Ma.

 

Les laves du suc de Chabrières.

 

            Il nous a paru intéressant, à défaut de se rendre sur place, compte tenu de la difficulté d'accès, de commenter à partir d'échantillons ramassés in situ au cours d'une sortie préparatoire à cette promenade et de la vue que l'on en a depuis le chemin d'exploitation forestier qui monte en écharpe vers le suc de Touron, les singularités pétrologiques des laves du suc de Chabrières.

Mézenc

                                 Suc de Chabrières

 
            Le suc proprement dit ( côte 1379 m ) est une intrusion phonolitique sortie du socle granitique et datée à 8,2 Ma. Sur son versant SE les matériaux ont été fortement entamés sous forme d'éboulis et blocailles, ainsi que  son soubassement cristallin, par l'érosion de la Saliouse, qui a mis à jour un entonnoir où les affleurements sont d'une autre nature.

            D'après une étude faite en 1991 par S. Hodges, il s'agit d'un diatrème où nous avons pu échantillonner parmi les éléments les plus gros ( de 0,50 à 1 m ) des fragments du socle, des laves anciennes altérées par effets atmosphériques ( basalte et surtout phonolite se débitent en billes de 20 à 25 mm ), des tufs constitués de lapilli trachytiques à biotite, des pyroclastites fines à faciès ignimbritique. L'érosion de cet ensemble plus ou moins induré a déchaussé à la base du diatrème, et intrusif dans celui-ci, un dyke de trachyte clair à biotite. Cette intrusion s'accompagne d'une coulée vitreuse de composition trachytique que l'on peut suivre le long du ruisseau sur environ 1200 mètres .

            Au cours de cette prospection, nous avons découvert le long de cette coulée des fragments de bois carbonisé et des trous de forage d'échantillons faits probablement par l'équipe de S. Hodges. Ils ont fait par celle-ci l'objet de datation au 14C concluant à un âge de 45 000 ans, mais discutable car le choix du traceur ne semble pas approprié à la fourchette probable. Cette coulée reste vraisemblablement d'un âge très récent, compte tenu de sa position dans le lit actuel du ruisseau. Il semble donc que cette région ait été le siège d'une activité localisée se prolongeant jusqu'au quaternaire où des chambres magmatiques proches de la surface et largement contaminées par la croûte ont libéré ce genre d'émission.

 

Le suc du Gouléiou.

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                        En redescendant par le même chemin, nous pouvons observer la forme particulièrement pédagogique de cette intrusion phonolitique, où grâce à la fraîcheur de la forme et à l'absence pratique d'éboulis, on peut distinguer une zone de décollement de la partie centrale par rapport aux segments auréolaires.

            A notre avis, une datation de la lave serait intéressante, qui pourrait marquer une certaine continuité entre la période majeure miocène et la manifestation du système précédent.

 

 

Le suc de Sara.

 

Une distension est à l'origine de plans de cisaillement qui s'emplissent de minéraux ferromagnésiens sombres (aegyrine) : ceci matérialise l'agpaïcité.

 
Le suc de Sara se présente sous la forme d'un dyke annulaire, ou ring-dyke, de phonolite intrusive dans un caisson granitique  profondément entamé par l'érosion, de sorte que suivant la position qu'elle occupe dans le terrain, la lave prend une texture variable et différente. Ainsi au sommet de la construction, dans un contexte de refroidissement plus rapide, elle prend un aspect plus effusif, proche d'une texture phonolitique de dôme ou de protrusion. A la base au contraire, la texture devient microlitique : elle correspond à un refroidissement lent d'hypovolcan où s'individualisent des aiguilles d'aegyrine et des cristaux de néphéline sur un fond micro-cristallin homogène. Les contacts d'intrados et d'extrados à ce niveau font toutefois exception. Il s'y ajoute un effet de paroi froide qui, du fait de la géométrie de l'intrusion, donne à la roche un aspect différent. A l'extérieur, là où la ligne de contact est en distension, apparaissent des plans de cisaillement à l'ouverture où s'injecte un liquide résiduel plus riche en aegyrine, qui traduit l'inversion de cristallisation résultant de l'agpaïcité [1]  ; sa texture devient de même plus effusive du fait de l'effet de paroi froide. A l'intérieur, là où la ligne de contact est en compression, mais où se manifeste aussi l'effet de paroi froide, on ne retrouve pas ces plans de cisaillement, la différence ne se manifeste que par la texture plus effusive qui rappelle celle du sommet.

Aiguilles d'aegyrine et cristaux de néphéline

 

Phonolite du Sara

 
La composition chimique de la roche, qui se traduit par une

prépondérance des éléments sodiques et potassiques sur les éléments alumineux, conduit à une inversion de l'ordre normal de cristallisation (la néphéline et les plagioclases y cristallisent avant les pyroxènes). Cette particularité, entre autres, la fait entrer dans la catégorie des phonolites agpaïtiques.

 

Elle a fait également l'objet d'une datation à 6,5 Ma.

 

 

 

Les projections de maar de l'appareil d'Echamps.

 

            En redescendant la rive gauche de la vallée de l'Eysse, depuis le point où elle coupe le ring-dyke précédent, par le chemin forestier puis par la route passant au Sud de Borée, on atteint au delà de Molines, l'emplacement d'une carrière où l'on peut observer une coupe particulièrement exemplaire dans un affleurement de projections de maar, cette coupe se présente au centre perpendiculairement au champ de vitesses des projectiles et sur son bord parallèlement, ce qui permet de voir d'une part strates et canaux, d'autre part dunes, antidunes et figures d'impact. On peut également reconnaître, dans la nature des éléments de la stratification, l'abondance des débris du socle cristallin au sein des lapilli basaltiques et les changements de granulométrie  de couche à couche qui matérialisent le fonctionnement rythmique de ce type d'éruption.

 

            En fait on ne voit sur cette coupe que la phase explosive de cet appareil. Celui-ci a eu une phase strombolienne postérieure dont on aperçoit, au-dessus de la partie exploitée de la carrière,  les matériaux débordés sous forme de scories soudées. Si nous étions montés jusque sur le plateau, nous aurions pu voir que l'emplacement du cratère est rempli par un lac de lave basaltique formant une cuvette peu marquée qui amorce une coulée au Nord vers la vallée de l'Azette. Différents basaltes liés à cette formation on fait l'objet de datation s'échelonnant entre 6,2 et 4,8 Ma.

Les eaux qui s'infiltrent sur ce plateau dont la surface atteint 3 à 4 km2 alimentent la source abondante de Molines dont la régularité est assez remarquable.

 

Les affleurements morainiques de la Médille.

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            En reprenant la route de Borie à la Croix des Boutières puis la route panoramique sous le versant Est du Mézenc on contourne un vallon se fermant à l'amont par un cirque basaltique de morphologie glaciaire. Un arrêt nous permet d'observer entre les fermes de la Médille et de Vialaret les moutonnements caractéristiques d'un terrain morainique qui témoigne des restes d'un petit appareil glaciaire plus ou moins remobilisé par les eaux du ruisseau, et qui n'est pas sans nous rappeler en réduction les vallées cantaliennes qui rayonnent autour du Puy Mary.

 

 

 

Le paléosol de Praforos.

 

            En poursuivant vers le Nord et contournant un second vallon, nous nous arrêtons dans un virage pour observer sous une petite coulée de basalte un paléosol argileux recuit sur quelques centimètres et en mélange avec de fines projections à la fois basaltiques et granitiques qui font penser à celles d'un maar.

 

 

 

 

Les volcans du Viallard.

 

Zone de Texte: L'acide chlorhydrique (H Cl) déposé sur les carbonates provoque un dégagement gazeux : il y a effervescence.             A environ 1250 m au Nord, une épingle à cheveux de la route recoupe deux éruptions contiguës. L'une émanant du sommet 1362 m , l'autre du sommet 1364 m . immédiatement au SE du précédent. Le premier a émis une coulée de basalte, porphyrique à phénocristaux d'augite centimétriques, du type ankaramite daté à 8,9 Ma, la seconde un dôme de trachyphonolite daté à 7,8 Ma. Les deux sont intrusifs dans un granite localement mylonitisé. L'appareil trachyphonolitique a soulevé et basculé de petites langues de la coulée basaltique.

 On peut observer au niveau du contact des échantillons de basalte débités en feuillets pelliculaires par l'altération atmosphérique et recouverts d'une mince couche blanchâtre, de nature à la fois siliceuse et carbonatée, issue des percolations fumerolliennes de la seconde intrusion.

 

            Le maar de Chaudeyrolles devait faire l'objet d'un ultime arrêt pour cette journée bien remplie. Mais la chaleur et la soif nous ont conduits dans un bistrot du village où nous avons pu goûter enfin devant des verres l'ombre et le repos.

 

                                                                                                Jacques Cabrol

 



[1] Agpaïcité : ordre de cristallisation inverse de la normale ; pour les roches magmatiques sous saturées à feldspaths alcalins (syénite néphélinique ; phonolite) néphéline et feldspaths alcalins se solidifient en premier, les interstices seront  comblés par des ferromagnésiens tels que l'aegyrine (Clinopyroxène).