Séismes en Turquie et Syrie

6 Février 2023
Alain Guillon, membre de la SAGA

 

Carte
Figure 1. Localisation des deux premiers séismes d’importance qui se sont produits le lundi 6 février 2023 en Turquie. Source : AFP.

  Le lundi 6 février 2023, à 4 h 17 du matin, heure locale, un premier séisme de magnitude 7,8 s’est produit à 30 km au nord-ouest de Gaziantep, une ville de plus de 2 millions d’habitants dans le sud de la Turquie, dans la province de Kahramanmaras, à 60 km environ à vol d'oiseau de la frontière syrienne. Neuf heures plus tard, à 13 h 24, après des dizaines de répliques, un nouveau séisme de magnitude 7,5 a frappé, toujours dans le sud-est de la Turquie, à 4 km au sud-est de la ville d'Ekinozu (figure 1). Il a été initialement consi déré comme une réplique parmi les très nombreuses qui ont frappé la région par la suite.
La particularité de ces séismes est de s’être produits à une très faible profondeur, 10 km (USGS) et ils furent donc particulièrement destructeurs, l'énergie libérée par les tremblements de terre peu profonds n'ayant pas assez d'espace pour se dissiper avant d'atteindre la surface, causant souvent plus de destruction que les tremblements de terre plus profonds.
Le nombre de victimes, plus de 50 000, est l’illustration de cette force destructrice.

Contexte tectonique

La figure 2 présente les séismes qui se sont produits depuis 1900 dans la région comprenant la Turquie et la Syrie.

 

Carte des séismes supérieur à 5 depuis 1900 dans la région Turquie / Syrie
Figure 2. Carte de la Turquie et de la Syrie qui montre plus de 700 tremblements de terre de magnitude 5 et plus qui se sont produits dans ou à proximité des pays depuis 1900.
Source : United States Geological Survey (USGS).

La répartition des séismes et les observations de terrain permettent de comprendre la position de la Turquie par rapport à la tectonique globale de la région (figure 3).

Le plateau anatolien se déplace lui-même vers l'ouest, de quelques millimètres à plusieurs centimètres par an. La Turquie est donc un territoire à la géologie complexe du fait de la pression exercée par les mouvements de ces différentes plaques tectoniques. Cela pourrait se résumer à l’image d’une plaque anatolienne comme « une savonnette glissée entre le pouce et l’index qui s'échappe ».

Les plaques tectoniques en Turquie
Figure 3. Le plateau anatolien, qui correspond à la Turquie, se situe en réalité lui-même entre deux plaques, la plaque eurasiatique et la plaque arabique, comme pris en étau.
Au sud de la Turquie, la plaque arabique pousse vers le nord, en direction de la plaque eurasiatique, qui, elle, est immobile. Source : AFP d’après USGS.

Segmentation de la faille est-anatolienne
Figure 4. Segmentation de la faille est-anatolienne établie sur la base des séismes majeurs historiques et instrumentaux répertoriés dans la région (d’après Duman et al., 2013.)
Pour chaque segment, la date et la magnitude du séisme le plus important est indiqué, avant la crise de février 2023.

Source : https://www.irsn.fr/sites/default/files/documents/actualites_presse/actualites/IRSN-Seisme-Elazig-Turquie-
24012020.pdf.

Cela en fait une zone particulièrement instable et dangereuse : le 17 août 1999, un séisme avait fait 17 000 morts en Turquie, dont un millier à Istanbul. Il s'agissait alors d’un rejeu de la faille sismique nord-anatolienne, qui passe par la capitale.
Cette fois, c'est la faille est-anatolienne qui est en cause. En janvier 2020 déjà, un séisme de magnitude 6,7 a frappé les provinces d’Elazig et de Malatya, non loin de la catastrophe récente, faisant plus de 40 morts.
En octobre 2020, un tremblement de terre de magnitude 7, survenu dans la mer Égée, avait fait 114 morts dans le pays.
Lors de la crise récente, dans un premier temps, le second séisme de magnitude 7,5, bien qu’anormalement élevée, a été considéré comme une réplique de rééquilibrage des plaques suite au premier séisme.
Les études antérieures sur la tectonique de la région montrent que la faille qui a joué sur près de 300 km lors du premier séisme, la faille est-anatolienne, est en fait constituée de multiples segments (figure 4).
Le séisme du 6 février 2023 et ses répliques ont mobilisé plusieurs segments de la faille est-anatolienne. Le choc principal a engendré une rupture d’environ 300 km de longueur sur une profondeur d’environ 10 km, avec un déplacement maximal sur la
faille d’environ 3 à 9 m, selon l’USGS. Il a intéressé les segments de faille de Amanos (en gris, à l’ouest sur la figure 4) et de Pazarcik (en rose) qui ont généré les séismes de 1872 et de 1795. La « réplique principale », de magnitude 7,5, s’est produite sur la
faille de Sürgü, un segment adjacent à la faille est-anatolienne (figure 5).

Localisation des séismes Turcs de magnitude 7,8 et 7,5.
Figure 5. Localisation des deux séismes de magnitude 7,8 et 7,5. Ils ne se situent pas sur la même branche de faille.
D’après Jolivet et Jolivet (2023)

Des répliques et un second séisme

Le comportement des répliques, suite au séisme du 6 février 2023 à 4 h 17, n’est en lui-même pas du tout une surprise. En 1894, Omori observait déjà une décroissance logarithmique du nombre de répliques avec le temps (selon une loi en 1/t, t étant le temps écoulé depuis le choc principal).

Ces mêmes lois empiriques, dites « lois d’échelles », prévoient que la plus grosse réplique aura une magnitude d’un ordre de grandeur inférieur au choc principal : ici, la plus grosse réplique du premier séisme a été d’une magnitude de 6,7, proche des 6,8 attendus. Rappelons que cette échelle est logarithmique et qu’un séisme de magnitude 6 libère 30 fois moins d’énergie qu’un séisme de magnitude 7.
Les répliques s’arrêtent lorsque les forces engendrées par le séisme principal sont accommodées, un peu comme lorsque, après avoir mis un coup de pied dans un tas de sable, les grains continuent de rouler les uns après les autres, puis se stabilisent.

Mais le séisme de magnitude 7,5 de 13 h 24 sort complètement de ce comportement statistiquement vérifié, depuis 1894, sur des milliers de séismes dans le monde : ce n’est donc pas une réplique, mais bien un duxième séisme.
Il faut ainsi noter qu’il s’est produit sur la faille de Cardak qui est orientée à 45° par rapport à la faille est-anatolienne, comme en témoigne la forme de l’essaim de répliques qui l’ont suivi (figure 6).

Carte avec l'ensemble des séismes du 6 février 2023
Figure 6. Carte avec l’ensemble des séismes du lundi 6 février 2023.
Source : Il Mondo dei Terremoti..

On parlera donc ici de « séisme déclenché », plutôt que « réplique principale », ou tout du moins, on tentera d’explorer des mécanismes permettant d’expliquer la coïncidence temporelle entre ces deux grands séismes.

Effets des séismes

En dehors des effets délétères sur les habitations dans les zones très habitées, qui sont à l’origine du nombre extrêmement élevé de victimes, souvent liés au non respect des normes de constructions antisismiques, des effets dans le paysage sont tout aussi impressionnants. Le mouvement latéral produit lors de la rupture de la faille, résultat du relâchement de la tension accumulée
au fil du temps, atteint ainsi plusieurs mètres. Les routes, chemins de fer et autres infrastructures se trouvant directement sur le tracé de la faille n'ont pas pu résister : ils sont totalement cisaillés et nettement décalés (figures 7 à 9).

Route D420 Demirkopru après le séisme.
Figure 7. Une section du tremblement de terre a endommagé la route D420 à Demirkopru, en Turquie, le 8 février 2023.
Source : Reuters/Benoit Tessier.

Les dommages ferroviaires causés par le tremblement de terre en Turquie, le 6 février 2023, ont été géolocalisés sur la ligne entre Türkoglu et Islahiye.
Figure 8. Les dommages ferroviaires causés par le tremblement de terre en Turquie, le 6 février 2023, ont été géolocalisés sur la ligne entre Türkoglu et Islahiye.
© Libération.

Photo de la rupture de surface liée au séisme du 6 février 2023 (Mw 7,8). 
La route se retrouve ici cisaillée et décalée d'environ 3 m
Figure 9. Photo de la rupture de surface liée au séisme du 6 février 2023 (Mw 7,8).
La route se retrouve ici cisaillée et décalée d'environ 3 m.
© Cengis Zabci (Istanbul Technical University).

Comme présenté en avant-première sur la 4ème de couverture du bulletin Saga Information n° 393 de mars-avril 2023, les séismes, provoqués par le déplacement des failles, impriment dans le paysage leurs effets (figure 10).

Dans la localité d’Hatay, en Turquie, une faille de 30 m de profondeur et jusqu'à 200 m de largeur s’est formée, coupant en deux un énorme champ d’oliviers.
Figure 10. Dans la localité d’Hatay, en Turquie, une faille de 30 m de profondeur et jusqu'à 200 m de largeur s’est formée, coupant en deux un énorme champ d’oliviers.
©Twitter MrGeoscopy.

En Syrie, la direction générale des antiquités et des musées évoque d’importants dégâts sur la citadelle d'Alep - déjà inscrite sur la liste du patrimoine mondial en péril -, notamment le moulin ottoman, le minaret de la mosquée Şirvani. Des dégâts sont signalés
à l'intérieur de l'ancienne forteresse de Margat à Banyas, sur des façades historiques de Hama.
En Turquie, le château de Gaziantep, dont les premières constructions datent de 3600 av. J.-C., est sévèrement endommagé, en particulier son enceinte extérieure (figure 11). La forteresse de Diyarbakır, un site du patrimoine mondial de l'UNESCO, est
partiellement détruite.

Figure 11. Château de Gaziantep, épicentre du séisme de magnitude 7,8.
Figure 11. Château de Gaziantep, épicentre du séisme de magnitude 7,8.
Source :Wikipédia.

Les infrastructures énergétiques ont aussi été touchées, comme les pipelines gaziers, qui ont été fermés suite aux séismes, ou encore, mais sans plus d’informations, la zone de construction par la Russie du complexe nucléaire à l’ouest de la faille est-anatolienne, qui selon les autorités turques n’avaient pas encore de combustible nucléaire sur place au moment où la catastrophe s’est déroulée !

Une seconde phase sismique

Parmi les nombreux séismes qui se sont produits, hors répliques, deux semaines plus tard, le 20 février 2023, il y a eu un nouveau séisme de magnitude 6,3. Le rééquilibrage des contraintes sur ces failles complexes n’est donc pas terminé. Le tableau ci-dessous
présente les différentes phases de séismes.

Tableau 1. Séismes de magnitude supérieure à 6,0 durant cet épisode sismique.

 

Date - Heure

Mgt

Localisation

Epicentre

3

2023-02-20 17:04:29 (UTC)

6.3

2 km NNW of Uzunba?, Turkey

16,0 km

5

2023-02-06 12:02:11 (UTC)

6.0

4 km NNE of Göksun, Turkey

8,5 km

4

2023-02-06 10:26:46 (UTC)

6.0

11 km W of Çelikhan, Turkey

10,0 km

2

2023-02-06 10:24:50 (UTC)

7.5

Elbistan earthquake, Turkey

15,0 km

-

2023-02-06 01:28:15 (UTC)

6.7

14 km E of Nurda??, Turkey

9,8 km

-

2023-02-06 01:26:50 (UTC)

5.7

22 km ENE of Nurda??, Turkey

10,0 km

1

2023-02-06 01:17:34 (UTC)

7.8

Pazarcik earthquake, Turkey

10,0 km

 


Figure 12. Carte de localisation de tous les séismes de l’épisode du 06/02/2023,
avec la localisation de quelques-uns de ceux de plus forte magnitude (cercles bleus). Adapté de USGS.

La carte de la figure 12 présente l’ensemble des séismes principaux et leurs répliques au cours de cet épisode sismique en Turquie. On remarque la mise en évidence des failles qui ont rejoué lors de cet épisode.

Sources

Jolivet R. et Jolivet L. Pourquoi il y a des séismes en cascade en Turquie et en Syrie ? The Conversation, publié le 8 février 2023.

https://theconversation.com/pourquoi-il-y-a-des-seismes-en-cascade-en-turquie-et-en-syrie-199350

https://earthquake.usgs.gov/

https://www.usgs.gov/news/featured-story/m78-and-m75-kahramanmaras-earthquake-sequence-near-nurdagi-turkey-turkiye

https://www.irsn.fr/actualites/seisme-sud-turquie-6-fevrier-2023-note-dinformation

https://www.irsn.fr/sites/default/files/documents/actualites_presse/actualites/IRSN-Seisme-Elazig-Turquie-24012020.pdf

https://www.irsn.fr/sites/default/files/2023-02/IRSN_Fiche-seisme-Turquie-20230207.pdf

https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9ismes_de_2023_en_Turquie_et_Syrie

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